La robotisation est un process qui effraie certaines entreprises et leurs opérateurs pour des raisons de coût, de complexité, voire d’une potentielle perte d’emploi. L’exemple du groupe Jacquemet montre comment le cobot peut être un renfort appréciable et économique à la productivité de l’atelier en même temps qu’un outil de fidélisation des collaborateurs.
Dirigé aujourd’hui par Christophe Jacquemet, petit-fils du fondateur, et ses 3 sœurs, le groupe Jacquemet fut fondé en 1926. Cette continuité dans la direction familiale cache des évolutions importantes. A l’origine, il n’était pas question de métal, mais de tournage sur bois pour la fabrication d’aiguilles à tricoter en buis, une essence de bois répandue dans la région. Le bois fut ultérieurement remplacé par l’aluminium jusqu’au début des années 80 qui marqua l’irruption de deux phénomènes qui se sont additionnés pour amener l’entreprise à se diversifier dans le formage du fil métallique : la baisse irréversible de la pratique du tricot et l’arrivée massive d’aiguilles en provenance d’Asie du Sud-Est.
Forte de 110 collaborateurs pour 16 millions d’euros de chiffre d’affaires, le groupe est réparti sur 5 sites : Saint-Martin-du-Frêne (www.jacquemet.com : formage, assemblage et mise en peinture de pièces et sous-ensemble en fil ou en feuillard principalement pour l’automobile), Jacquemet Invest en Roumanie qui est positionné sur le même créneau, tandis que trois autres sites (Adec, Maillard, Reynaud) sont dédiés à la fabrication de ressorts de torsion et de forme sur mesure. Au-delà du site historique, la création de la filiale roumaine et les acquisitions sont récentes :
Reynaud en 2003,
Jacquemet Invest en 2002,
Adec en 2015 et
Maillard en 2017. Le spectre des diamètres travaillés va de 0,15 à 16 mm.
Le site de Saint-Martin-du-Frêne bénéficie d’un parc machines qui répond aux besoins des donneurs d’ordres, qu’il s’agisse de petites ou de grandes séries : « l’avantage des cambreuses de fil est l’utilisation d’outils génériques qui permettent la fabrication de 80% des pièces » précise Jordane Riva, Responsable Industrialisation, en charges du bureau d’études, des méthodes, du prototypage et de la maintenance. Outre la programmation des pièces, seuls les changements de bobines d’une des nombreuses matières premières travaillées par l’entreprise (acier, inox, aluminium, cuivre, Cuprofor, cuivre béryllium, bronze ou Niclafor) ralentissent les cadences de ces machines.
Une démarche vers l’Industrie du Futur
L’arrivée de la cobotique dans l’entreprise est le fruit d’une réflexion plus globale entamée en 2014 sur la manière de renforcer l’efficacité de l’atelier. Plusieurs pistes ont été explorées, comme la fabrication additive plastique pour réaliser des gabarits soudure ou de contrôle, voire des accessoires pour certaines pièces métalliques.
Jordane Riva confirme que la société «
a envisagé la cobotique pour améliorer la productivité et afin de soulager les opérateurs des tâches les plus simples et répétitives avec une valeur ajoutée très faible que nous considérions comme ingrates : depuis que le robot les fait, plus personne n’a envie de les faire à la main. Le confort de travail des opérateurs s’en trouve renforcé ». Il s’agit là d’opérations de déchargement de machines ou encore de collecte de pièces en vue de reprises ou du conditionnement.
«
Utiliser un opérateur entre une plieuse et une soudeuse ne présente aucun intérêt du point de vue de l’entreprise ou de l’opérateur. Quand on arrive à automatiser, c’est vraiment bénéfique pour tout le monde » appuie-t-il.
Deux points ont été déterminants pour se lancer dans l’aventure de la cobotique : la présence d’un distributeur Universal Robots à proximité de l’entreprise, qui a rassuré les équipes pour l’installation du premier cobot et l’interface de programmation très intuitive développée par le constructeur.
Au-delà du conseil sur le choix du matériel, le distributeur a recommandé un intégrateur puisque Jacquemet, qui avait bien identifié les besoins, partait de zéro d’un point de vue technique. «
Par ailleurs, nous n’avions pas de temps à perdre pour la mise en place car nous sommes une petite structure. Il valait donc mieux laisser faire l’intégration à des gens dont c’est le métier » se souvient Jordane Riva. Cet accompagnement a également permis à l’entreprise d’éviter les erreurs du débutant en lui enseignant les bonnes pratiques du secteur. Depuis Universal Robots a développé des cours en ligne afin de faciliter la prise en main de l’outil aux primo-accédants.
Le cobot Universal Robots devant une machine de formage
Montée en compétence des opérateurs
Parallèlement à l’étude technique, il a fallu changer le regard des opérateurs sur la robotisation des ateliers : «
Les plus anciens opérateurs avaient connu le départ de certaines machines vers la filiale roumaine. Quand ils ont vu arriver le robot, ils ont eu peur de perdre leur emploi » reconnait Jordane Riva. En quelques mois ils se sont rendu compte que le cobot était un allié qui les soulageait de tâches répétitives et peu intéressantes. «
Ce verrou psychologique est certainement plus facile à faire sauter avec un robot collaboratif qu’avec un robot traditionnel. Il n’est pas nécessaire de le grillager et il existe donc une proximité entre l’opérateur et le cobot. De plus, même si l’absence d’enceinte de protection n’était pas un de nos objectifs, le fait de pouvoir, dès la réception d’un nouveau cobot, débuter les essais dans un coin de l’atelier sans prévoir de grillage est un point positif ».
Ce voisinage simplifie l’appropriation de l’outil par ses utilisateurs, mais ce qui a contribué fortement à dédramatiser le débat est la facilité de programmation constatée par tous. «
La rapidité de prise en main est beaucoup plus importante qu’avec un robot classique » estime Jordane Riva «
alors que nous avions à faire à des gens à la moyenne d’âge relativement élevée (45 ans) qui ne voulaient pas toucher à un ordinateur ou au robot ». L’intégrateur a formé de nombreux régleurs des machines de pliage et de cambrage afin de leur conférer une autonomie et ils ont à leur tour formé les opérateurs dans l’atelier sur des points importants. Les régleurs sont aujourd’hui capables de changer des parties du programme afin de l’améliorer ou de le faire évoluer face à une modification des besoins. Et ils ne s’en privent pas, d’autant plus qu’ils se sont aperçus que la programmation d’un cobot est plus facile que celle d’une machine de pliage ! «
C’est un avantage que nous n’avions pas identifié avant l’installation du premier cobot ».
Flexibilité de l’outil
Outre sa simplicité de programmation, le cobot bénéficie d’un poids et d’un encombrement réduit, sans compter la possibilité de l’équiper d’un nombre croissant d’outil et de systèmes de vision, ce qui permet de l’utiliser pour des tâches très variées. Il ne leur manque plus que des jambes pour se déplacer dans l’atelier. Qu’à cela ne tienne, l’équipe de Jacquemet a «
développé tout un système dans lequel les robots sont montés sur roulettes » afin de pouvoir rejoindre l’emplacement où leur présence est requise, «
avec un dispositif de positionnement au sol ». La présence des cobots n’est en effet pas requise à en permanence devant les machines, ce qui permet de partager un cobot entre plusieurs ilots de production. «
Nous avons également mis en place un standard de communication avec des prises sur un modèle identique pour brancher n’importe quel cobot sur n’importe quelle machine. Il ne suffit plus alors que d’appeler le programme désiré » se félicite Jordane Riva. «
C’est quelque chose que nous avons co-développé avec l’intégrateur qui nous a aidé pour le premier cobot ».
Jacquemet, qui dispose d’un atelier intégré de mécanique et de ses unités de fabrication additive plastique réalise ses préhenseurs adaptés aux différentes typologies de pièces.
Universal Robots, pionnier de la cobotique
En 2001, 3 roboticiens danois (Esben Østergaard, Kasper Støy, and Kristian Kassow) réfléchissent sur la meilleure manière de rendre accessible la robotique à tous les ateliers afin de supprimer les tâches répétitives et laborieuses et fondent leur société en 2005. « En partant d’une page blanche, ils ont défini un certain nombre de caractéristiques qu’un robot devrait avoir pour répondre à toutes les industries : facilité et immédiateté (répondre au besoin dans un temps court) de la mise en place, accessibilité pour tous (ingénieur comme opérateurs), flexibilité du déploiement, sécurité des personnes et viabilité économique (ROI courts) » rappelle Adrien Poinssot, Directeur Commercial France chez Universal Robots. Le premier cobot d’Universal Robots est commercialisé en 2008 et sera utilisé pour le chargement/déchargement de machines d’usinage. A ce jour, 37000 cobots sont installés dans le monde avec des utilisations éclectiques dans des entreprises de tailles variées qui vont de la PME comme Jacquemet à Renault qui a, par exemple intégré 100 cobots pour des opérations de vissage dans son usine de Cléon. «
Les cobots permettent une logique industrielle différente ».
Une attention particulière a été apportée à la programmation du cobot pour en simplifier l’accès. Outre la programmation par apprentissage par laquelle l’opérateur se saisit du bras du robot pour lui indiquer les positions de travail, Universal Robots propose des programmes prêts à l’emploi dont il suffit de modifier quelques données pour les adapter aux besoins de l’entreprise. Imaginons que l’on veuille programmer la palettisation de pièces : il est nécessaire d’indiquer au programme les positions extrêmes des pièces sur la palette et leur orientation afin que le programme se charge de l’optimisation. Depuis quelques années, Universal Robots a développé deux outils accessibles en ligne : UR Academy, un site de familiarisation à la cobotique et Application Builder, un système dans lequel l’utilisateur définit ses besoins et se voit proposer une visualisation vidéo du projet ainsi que le programme correspondant.
Parallèlement, «
l’idée d’Universal Robots a été d’ouvrir la programmation à tous les faiseurs d’outils, d’équipements et de logiciels afin qu’ils développent un environnement totalement compatible » poursuit Adrien Poinssot. Depuis deux ans que cette stratégie s’est mise en place, des grands acteurs de la péri-robotique comme Schunk ou SICK ont profité de cette opportunité qui a permis l’éclosion d’un écosystème avec de nombreuses solutions métiers, qui a également facilité l’avènement de nouveaux acteurs comme Robotiq (mains à 2 ou 3 doigts, kit de ponçage, etc.) ou Onrobot (préhenseurs, capteurs, etc.). 150 solutions ont d’ores et déjà été développées et 450 sont en développement. L’intégration est ainsi beaucoup plus rapide.