Pionnier des approches d’excellence industrielle, le constructeur américain met en œuvre depuis deux ans l’usine du futur avec son savoir-faire particulier sur son site d’Orléans Saran, un véritable écosystème industriel qui fabrique des moteurs pour applications internes et externes.
Comme dans les autres unités de production de John Deere à travers le monde, l’usine française utilise de nombreux outils logiciels avancés, ce qui lui confère une maturité numérique certaine. (Source : John Deere)
Toujours à l’avant-garde de meilleures pratiques industrielles, John Deere est un cas d’école. Leader mondial du machinisme agricole et un des principaux fabricants de machines de travaux publics (notamment avec l’acquisition récente du spécialiste des équipements pour infrastructures routières Wirtgen), le constructeur modernise en permanence ses trois unités de production françaises. Exemple : le site franc-comtois d’Arc-les-Gray qui fabrique des presses à balles rondes et qui vient de démarrer un ambitieux programme de modernisation censé améliorer de 20% la productivité et de réduire la surface industrielle de 40%. Un investissement de 5 à 10 millions d’euros sur trois ans. Ou l’usine d’Orléans Saran. Spécialisée dans la fabrication de moteurs, cette dernière s’est inspirée du concept allemand Industrie 4.0 et a lancé en partenariat avec sa « sœur » de Mannheim (Allemagne) qui fabrique des tracteurs une ambitieuse démarche d’avenir. «
Nous nous sommes attachés à la mise en œuvre d’une approche durable et structurée d’innovation en production », affirme Rémi Chambard, responsable de l’ingénierie de fabrication et de la maintenance du site John Deere d’Orléans-Saran. Une transformation numérique enclenchée en 2016 par la constitution de l’équipe dédiée à ce projet prospectif. «
Le modèle 4.0 allemand est très technique et nous avons fait le choix de la démarche usine du futur « à la française» avec un projet humain plus que technique », explique le responsable. «
L’innovation est un moyen pour atteindre nos objectifs, à savoir, la sécurité, la qualité, la productivité, la qualité de vie au travail et in fine, la satisfaction des clients. » Processus complexe, la mise en œuvre du 4.0 ne se fait pas en un jour. « Il fallait avant tout comprendre comment on pouvait assurer «
l’alignement des planètes », remarque Rémi Chambard, qui énumère les obstacles à franchir. «
Acquérir la maturité technique sur la génération de données (mise en œuvre de capteurs intelligents), son transport (via le bus de donnée) et son exploitation (avec la constitution des bases de données)… Bref, il faut cerner les innovations possibles avec des investissements limités. » Sans oublier cependant la dimension humaine du projet pour rendre le travail plus intéressant et moins pénible, favoriser la prise de décision et l’autonomie, mais tout en préservant voire encourager l’emploi. Le processus 4.0 ne commençait toutefois pas de zéro.
Le contrôle qualité est facilité par l’utilisation de tablettes et est plus fiable grâce à la détection acoustique de défauts pendant l’essai des moteurs ou le contrôle des efforts de frottement après montage du vilebrequin. (Source : John Deere)
Une évolution, pas une révolution
Comme dans les autres unités de production de John Deere à travers le monde, l’usine française a accompli depuis de nombreuses années la mise en œuvre d’un ERP (progiciel de gestion intégré) de très bon niveau (SAP), ce qui lui confère une maturité numérique certaine. «
Il s’agit donc pour nous d’une évolution et pas d’une révolution », constate l’expert. Commencé en 2017, le déploiement du nouveau modèle de production a été ainsi complètement intégré à la stratégie du site avec la mise en place d’une organisation autour de l’innovation pour pérenniser la transformation du processus industriel. Une transformation qui suit les règles de l’art, avec par exemple, la nomination d’un responsable « innovation » et d’un spécialiste de la transformation numérique ainsi que la constitution d’un comité de pilotage interne. «
Ce dernier peut suivre, grâce à des tableaux de bord dotés d’indicateurs de performance et de santé, le progrès accompli », détaille l’ingénieur. Une démarche qui a vu apparaître dans l’usine de nouvelles « fonctions » comme celle de mentors pour chaque innovation, ce qui permet de se former soi-même et de former les autres. La démarche s’est accélérée en 2018 avec le lancement des premiers pilotes, les «proofs of concepts» centrés sur le big data. Les premiers résultats tangibles n’ont pas tardé à apparaître, grâce entre autres, à la mise en place de projets opérationnels. «
Pas moins de 42 projets sont actifs actuellement et nous avons constaté des gains mesurables, surtout en ce qui concerne la qualité des produits (meilleure détection de défauts de fabrication), l’amélioration continue et la fiabilité des machines », confirme Rémi Chambard.
La numérisation du processus de production a amélioré sensiblement la qualité du processus de production et les exemples d’intelligence appliquée sont nombreux (analyse statistique en temps réel des caractéristiques en usinage, autocontrôle des équipements d’usinage, etc.) (Source : John Deere)
L’exploitation de données, le nerf de la guerre
Condition sine qua non de réussite, l’exploitation de données fait l’objet d’une attention particulière. Trois spécialistes chevronnés passent à la loupe les informations de production. «
La maîtrise de big data constitue à nos yeux, le cœur de l’intégration numérique d’une usine », souligne l’expert de John Deere. «
A ce titre, le support du département informatique est fondamental pour aboutir. » Cela suppose une acquisition correcte de données, leur analyse approfondie et la mise en pratique des enseignements que l’on peut tirer. La numérisation du processus de production a changé peu à peu la vie de l’usine et les exemples d’intelligence appliquée sont nombreux. Le contrôle qualité interactif par tablette a éliminé les anciens classeurs papier et la détection acoustique de défauts pendant l’essai des moteurs ou le contrôle des efforts de frottement après montage du vilebrequin ont sensiblement amélioré la qualité. Comme l’analyse statistique en temps réel des caractéristiques en usinage ou l’autocontrôle des équipements d’usinage. La machine vérifie ainsi son opération d’usinage en temps réel. Une démarché gourmande en financements ? «
Pas du tout », répond Rémi Chambard, «
car nous avons privilégié l’approche «frugale» avec des investissements très limités et ciblés. » Des technologies complémentaires travaillent main dans la main avec les opérateurs pour éliminer les tâches pénibles et réduire les coûts de fabrication. Comme les robots collaboratifs ou les chariots autonomes voire les chariots autoélévateurs autoguidés très ergonomiques. Ou encore la fabrication additive métalliques qui permettra, si on remonte au bureau d’études, de produire par exemple, à moindre coût des assemblages complexes en une seule pièce. «
L’usine est ainsi devenue… visuelle », constate Rémi Chambard. «
Chacun dispose de l’information idoine au bon moment. »
L’équipe Industrie 4.0 de John Derre ne s’endort pas cependant sur ces premiers lauriers. Les succès obtenus au niveau de stations de travail, l’incitent à passer au stade suivant. «
Notre ambition est de peser plus sur les performances globales grâce à des projets numériques plus ambitieux qui amélioreront le pilotage de flux de production grâce à des lignes de fabrication complètes », note Rémi Chambard. «
Pour supporter cet effort, l’usine s’est doté récemment d’un laboratoire d’innovation partagé par une équipe pluridisciplinaire et inter-service (Méthodes, Maintenance, IT). Un espace d’échange et de créativité pour explorer d’autres pistes. »
Pragmatique également, l’équipe de John Deere sait qu’elle n’est qu’au début de la démarche 4.0. « Mais nous croyons fermement au modèle et à son potentiel », conclut le responsable. «
Nous serons ainsi très contents d’accueillir, début mars à Lyon au prochain salon Global Industrie, tous ceux qui s’intéressent au concept 4.0. Et de partager avec eux notre expérience dans le cadre de différentes interventions auxquelles nous participerons : tables rondes sur le big data et les nouvelles technologies de maintenance industrielle, avec notamment un campus «student area» doté d’un démonstrateur sur le thème de l’automatisme / diagnostic de panne. » Avis donc aux amateurs…