En 1936, Willy Blaser concevait des graisses qu'il vendait dans les campagnes de l'Emmental. Son objectif : fournir aux paysans un produit offrant une fonction précise pour une application spécifique. Dans les années 70, la firme suisse s'est lancé à la conquête du marché des lubrifiants pour l'usinage des métaux. 80 ans plus tard, Blaser conserve la même ambition : ne pas vendre un produit mais une fonction dont le client va pouvoir tirer parti, et faire du lubrifiant un outil à part entière. Un outil liquide.
Blaser fête cette année ses 80 ans. Son histoire a démarré en 1936 sur les chemins de l'Emmental. Son fondateur Willy Blaser les sillonnait à vélo pour vendre aux paysans une crème à chaussure hydrofuge conçue dans sa maison familiale. Le jeune homme alors âgé de 20 ans élargit ensuite sa production à divers autres produits de graissage destinés au secteur de l'agriculture. C'est à partir de 1974, que l'entreprise suisse basée dans la bourgade d'Hasle-Rüegsau à une vingtaine de kilomètres de Berne, connaît son essor international. Son fils Peter s'intéresse à l'industrie de transformation des métaux pendant ses études d'ingénieur mécanicien : «
en entrant dans l'entreprise en 1973, il était pour moi évident que les lubrifiants réfrigérants avaient un potentiel de croissance au-delà des frontières suisses ». La production des premiers lubrifiants réfrigérants pour l'usinage des métaux démarre un an plus tard. Ce lancement s'accompagne du développement du réseau de distribution en Europe et aux États-Unis. L'entreprise, rebaptisée Blaser Swisslube en 1994 pour mettre en avant la provenance suisse des produits, gage de qualité, part à la conquête du monde. La première filiale est fondée en 1981 aux États-Unis, suivie des filiales allemande et tchèque en 1995, japonaise en 1996 puis française en 1999. La société, qui compte 600 collaborateurs (dont 300 en Suisse), dispose aujourd'hui de 15 succursales et 46 représentations à travers le monde. Elle possède des centres de production de lubrifiants basés au siège à Hasle-Rüegsau ainsi qu'aux États-Unis. «
La production du site suisse est destinée au marché européen », précise Philippe Lacroix, directeur de la filiale française qui compte 17 personnes.
Marc Blaser, petit-fils du fondateur et CEO de l'entreprise familiale suisse (Photo Blaser)
La stratégie de diversification et d'exportation a porté ses fruits. Alors que l'entreprise familiale jusqu'au début des années soixante-dix se contentait de commercialiser en Suisse des lubrifiants et des produits chimico-techniques, elle réalise aujourd'hui près de 90% de son chiffre d'affaires, avec les lubrifiants réfrigérants dans les pays industrialisés du monde entier.
Malgré son expansion internationale, Blaser reste fidèle à ses valeurs d'origine sur lesquelles le fondateur a construit la réputation de ses graisses auprès des éleveurs et fermiers de l'Emmental. «
Notre devise est de ne jamais promettre de trop mais de livrer bien davantage », rappelle Marc Blaser, petit-fils du fondateur, actuellement CEO de la société. « Le statut familial de notre entreprise est une chance. Nous nous engageons vis à vis de clients et non pas du cours de l'action en bourse. Cette indépendance vis à vis des investisseurs financiers est plutôt rare sur notre marché ».
L'entreprise qui consacre 6 % de son chiffre d'affaires à la R&D dispose d'un laboratoire, qu'elle considère comme le plus grand du secteur, qui réunit sur 3500 m², 70 chimistes, microbiologistes et laborantins. Seules 1% des idées formulées par les chercheurs passent avec succès l'ensemble des phases de test de différents paramètres et de validation sur des circulateurs puis les essais en production pour finalement accéder au statut de produit commercialisable. Il ne faut pas moins de deux ans pour l'élaboration d'une huile. Le laboratoire est quotidiennement au service des clients. Ainsi, il analyse 10 000 échantillons de lubrifiant par an. Après avoir conduit une batterie d'analyses chimiques ou microbiologiques, il va fournir aux clients des recommandations selon les exigences spécifiques de leur application d'usinage afin d'éviter la formation de mousse, la corrosion, l'irritation de la peau, etc.
Le laboratoire qui réunit sur 3500 m², 70 chimistes, microbiologistes et laborantins réalise l'analyse de 10000 échantillons de lubrifiant par an (Photo Blaser)
L'expertise microbiologique du laboratoire est essentielle pour assurer la stabilité des lubrifiants miscibles dans l'eau. «
Nous vendons un lubrifiant concentré qui est mélangé par le client à de l'eau pour former une émulsion composée d'environ 90 à 95% d'eau. Cela exige une grande technicité car notre produit est employé avec des eaux dont on ignore les caractéristiques et qui vont évoluer au fil du temps », explique Philippe Lacroix. Blaser a misé sur une recette de fabrication ne recourant pas aux bactéricides permettant aux germes de l'eau de se développer dans l'émulsion. La gamme Blasocut, le produit phare de l’entreprise de par son concept et son antériorité au catalogue, ne contient pas de bactéricides. Blasocut utilise un germe dominant stable naturel qui empêche d'autres bactéries de se développer dans l'émulsion.
La société suisse ne compte - pas uniquement sur le label « bio » de ses huiles pour séduire les industriels, et en particulier les entreprises françaises. En effet, ces dernières sont soumises à des obligations de qualité et de productivité de très haut niveau par leurs donneurs d’ordres des secteurs automobile ou aéronautique et autres. Ces industries sont donc en forte demande de solutions de pointe pour l’usinage de pièces et/ou matériaux très techniques (titane, magnésium, Inconel, etc) mais aussi plus standards auxquelles Blaser répond avec tout son catalogue d’huiles solubles et entières (de toutes origines : minérales, végétales, synthétique, Gas to Liquid) et différents produits solubles tels que Blasocut, B-Cool ou Vasco.
Les machines-outils du centre technologique permettent de valider les performances des nouvelles gammes de lubrifiants réfrigérants et de répondre à des demandes industrielles spécifiques (Photo Blaser)
Blaser a donc investi en 2009 dans un centre technologique équipé de plusieurs centres d'usinage. «
L'objectif est de reproduire en conditions réelles les opérations d'usinage pour valider les performances de nos nouvelles gammes de lubrifiants réfrigérants mais aussi pour répondre aux demandes spécifiques de nos clients », indique Marc Blaser. Ainsi, une étude réalisée en partenariat avec un fabricant de pièces aéronautiques en alliage de titane a par exemple permis de déterminer les paramètres d'usinage et le lubrifiant optimisant la productivité. Pour ce faire, un lubrifiant conventionnel a été comparé à une solution réfrigérante élaborée sur mesure pour cette application. Une série de test a été réalisée jusqu'à une largeur d'usure de 0,3 mm. Résultat : 11 poches ont pu être produites avec le même outil au lieu de 5 avant que le niveau d'usure n’exige l'arrêt de l'usinage.
C'est en s'appuyant sur ces résultats concrets que le groupe familial souhaite valoriser son expertise et faire prendre conscience aux industriels, qu'un lubrifiant n'en vaut pas un autre, qu'il faut l'adapter, notamment pour l'usinage de pièces complexes dans des matières spécifiques, comme tout outil, à l'application visée. Pour Blaser, dans une machine outils, le lubrifiant est un outil comme un autre. Un outil liquide. Il doit donc être choisi avec autant d'attention. Ce n'est pourtant pas dans les habitudes de la plupart des industriels. La société suisse n'abandonne pas pour autant la partie et poursuit sans relâche son travail de sensibilisation. «
Nous avons les meilleures chances de convaincre les entreprises qui disposent d'une vision globale de leur coût de production et qui sont donc conscientes de l’interdépendance des facteurs tels que les lubrifiants réfrigérants, le type d'outil, la machine-outil, l'homme et l'environnement », observe Marc Blaser.
Selon une étude mise en avant par la firme suisse, le prix du lubrifiant réfrigérant représente seulement 0,5 à 2% du coût unitaire de fabrication d'une pièce. Mais en optant pour un lubrifiant adapté, la machine fonctionne plus longtemps et plus vite, et le personnel est moins sollicité. Le prix du lubrifiant a donc un impact direct sur 95 % des coûts de fabrication liés au personnel (60%), aux machines (30%) et aux outils (5%). «
C'est pour cette raison que nous ne vendons pas un produit mais une fonction dont le client va pouvoir tirer parti dans son processus d'usinage », note Philippe Lacroix qui souligne par ailleurs que ses lubrifiants étant en moyenne plus cher que le marché, si ses clients acceptent d'en payer le prix c'est qu'ils en mesurent les bénéfices sur le terrain.